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Occultation, NASA et nuages

Troisième et dernière partie du carnet de voyage de la campagne d'observation de l'astéroïde Polymèle en Espagne

Lecture de 13 Minutes

Vue d'artiste de l'astéroïde

Voici la suite et fin de mon carnet de voyage pour la campagne d’observation de l’occultation de Polymèle pour la mission Lucy. Vous pouvez lire le contexte dans lequel s’inscrit cette campagne d’observation ici, et le début du voyage ici.

Jour 3 : Répétition générale

Pause touristique

Au cours de la nuit précédente, on a fait l’amer constat que le moteur de la monture de notre téléscope avait un problème : toutes les 9 secondes, le moteur avait un sursaut. On avait envisagé la possiblité d’ouvrir le boîtier du moteur de la monture pour essayer de diagnostiquer plus finement le problème, et avec un peu de chance le réparer. J'étais super enthousiaste à l’idée de voir à quoi ressemblait la monture de l’intérieur, mais après réflexion, le responsable scientifique de la campagne d’observation a jugé que c'était trop risqué : c'était pas impossible qu’on l’abime encore plus en essayant de le réparer et on ne pouvait pas se permettre de perdre un télescope la veille de l’occultation.

Cette nuit, on va essayer de déserrer le mécanisme d’entraînement du moteur jusqu'à ce qu’il glisse assez pour compenser les sauts. Comme les sauts sont très réguliers, c’est facile de les compenser, ce qui devrait nous permettre d’avoir des données exploitables. Si cette technique fonctionne cette nuit, alors ce sera OK pour l’observation de demain. Et sinon, on envisagera à nouveau d’ouvrir le télescope pour essayer de le réparer.

N’ayant pas de télescope à réparer aujourd’hui, et notre spot d’observation étant trouvé, on a pu profiter de quelques heures de libre qu’on a utilisé pour visiter León. On s’est baladées dans la vieille ville, vu les remparts et la cathédrale, mangé une glace.

Cathédrale de León

Puis on est retournés à l’université pour un briefing sur les observation que nous allions faire au cours de la nuit. Le but cette nuit, c’est de tout faire exactement comme si on allait observer l’occultation. La seule différence, c’est que Polymèle ne passera pas devant l'étoile qu’on est en train de regarder. Mais sinon, tout pareil : on part à la même heure, on installe le télescope et on le pointe vers la même région du ciel, on enregistre les données de la caméra de 4h29 à 4h35,…

Le responsable scientifique revient avec nous sur toutes les difficultés qui ont pu être rencontrées lors des observations de la veille. Il y a eu des batteries qui se sont éteintes de façon intempestive et on ne sait pas pourquoi. Une des hypothèses est qu'à cause du froid, la caméra n’a quasiment pas besoin de se refroidir. Il n’y a donc pas assez d'énergie qui est tirée sur la batterie et elle s'éteint pour s'économiser.

Il nous rappelle aussi quelques consignes importantes : il ne faut pas oublier de bien remplir les feuilles de log, il ne faut surtout pas utiliser la raquette pendant qu’on enregistre des données (sinon, on fait bouger le télescope ce qui rend les images floues donc pas utilisables), il faut pas qu’on démarre le PC trop tôt pour éviter qu’il n’arrive à court de batterie avant l’heure de l’observation,…

Le responsable scientifique fait aussi un point sur la météo. La région dans laquelle on se trouve est celle avec les meilleures conditions météo de toute l’Espagne. Le ciel devrait globalement être dégagé pour observer l’occultation. Cela dit, les prédictions sont en train de s’empirer. Affaire à suivre, donc.

C’est fou tout ce qui peut aller de travers sur une grosse campagne d’observation comme celle-ci.

Après le briefing, je vais dîner rapidement et je vais dormir quelques heures avant de repartir pour la répétition générale.

La nuit de tous les problèmes techniques

On arrive sur notre spot d’observation. Le ciel est magnifique et on voit la Voie Lactée. On s’installe en suivant la procédure : assemblage du télescope (à ce moment on s’apperçoit qu’il y a du vent : lorsqu’on oriente le tube du télescope d’une certaine façon, il fait du bruit, comme quand on souffle au dessus du goulot d’une bouteille), branchement de la caméra, de la monture et du PC, alignement du chercheur, collimation du télescope, alignement de la monture, et là, c’est le drame. On avait aligné la monture avec une première étoile et on cherchait la deuxième étoile avec laquelle s’aligner lorsque la raquette (c’est comme ça qu’on appelle l’espèce de télecommande branchée au télescope qui permet de l’orienter) s’est éteinte.

Elle se rallume toute seule tout de suite après, et on reprend l’alignement de la monture de zéro. Cette fois avec succès. Puis on utilise l’ordinateur pour pointer l'étoile qu’on veut regarder. Mais cette fois, c’est le logiciel qui plante. On le redémarre et on ré-essaye. Le logiciel re-plante. Au bout de la troisième fois, on décide de se passer du logiciel et de tout faire avec la raquette. Heureusement, ce n’est que le logiciel qui pilote la monture qui a planté, et le logiciel qui pilote la caméra fonctionne toujours.

On saisit les coordonnées de l'étoile dans la raquette pour que le télescope pointe tout seul dans la bonne direction. On regarde l'écran pour vérifier. Et tout est OK : on reconnaît les étoiles qui sont autour de l'étoile qui nous intéresse. Cinq étoiles plus brillantes forment une sorte de mini-constellation en « V » qui pointe vers l'étoile (très peu brillante) qui nous intéresse.

Je constate que la répétition d’hier a été utile : j’ai eu aucun mal à reconnaître les étoiles autour de celle qui nous intéresse du premier coup d'œil, alors que la veille il m’avait fallu une minute avant de pouvoir confirmer que le télescope pointait au bon endroit.

Tout est en place, et il reste même pas cinq minutes avant de devoir commencer à enregistrer des données. C’est très court. Heureusement que Rose (qui a l’habitude de ces télescopes) a été très efficace pour isoler le problème et trouver une façon de le contourner. Sinon, on aurait loupé le moment fatidique auquel il fallait collecter des données !

Mais rien ne va, à cause du vent, nos images sont inutilisables. Le vent secoue notre télescope sans arrêt, et dans les images, chaque étoile est une ligne au lieu d'être un point. On essaye de déplacer la voiture pour qu’elle fasse office de paravent, mais rien n’y fait.

À 4h29, on lance l’enregistrement des données, mais on sait d’avance qu’on ne pourra rien en faire à cause du vent. À 4h35, on arrête et on range tout. Le lendemain, il faudra trouver du scotch pour mieux fixer tous les cables, et une bâche pour se protéger du vent. Comme on dit avec l’orchestre « mauvaise générale, bon concert ».

On rentre pour dormir quelques heures, histoire d'être aussi reposés que possible quand il faudra observer l’occultation pour de vrai.

Jour 4 : La nuit de l’occultation !

Dernier préparatifs

La veille il y a eu tellement de vent qu’en début d’après-midi, on repart à la recherche d’un nouveau spot d’observation pour l'équipe 5. On commence par aller voir notre spot d’observation de la veille, afin d’avoir un point de comparaison. On se rend compte qu’il y a effectivement beaucoup de vent, même de jour. Mais ce n’est pas forcément très surprenant : on est presque en haut de la plus haute colline du coin, et on est sur le mauvais versant vis-à-vis du vent. La prochaine fois, on regardera la carte topo en plus de regarder la carte de pollution lumineuse avant de choisir un spot.

On se rend à tous les endroits où notre ligne croise une route les uns après les autres. Au premier, il n’y a pas d’endroit où poser le télescope et la route trop étroite est entourée par des ravins. Au deuxième, les lignes haute tension sont directement au dessus de nos têtes. Au troisième, il y a encore pas mal de vent. Au quatrième, des arbres masquent la direction dans laquelle on voudrait observer. Après quelques essais, on trouve enfin un endroit dégagé, avec la place pour poser le télescope et manœuvrer la voiture en sécurité.

On note l’endroit qu’on a trouvé sur la carte et on rentre à l’université pour assister au dernier briefing avant l’observation. Sur la route, on croise un joli château et on s’arrête pour prendre quelques photos.

Un chateau fort

Le responsable scientifique de la campagne d’observation nous annonce la météo : la prédiction se dégrade depuis hier. Il y aura des cirrus fins, mais la météo sera la même sur presque toute l’Espagne, donc ça n’est pas la peine d’essayer de faire plus de route pour trouver un trou dans les nuages. Mais même s’il y a des nuages, il faut qu’on soit tous prêts à observer au moment du transit, parce que parfois il arrive qu’une trouée se forme dans les nuages au bon endroit au bon moment. Et cette trouée, il faut pas la louper. Ce d’autant plus que la météo prédit des cirrus fins, donc c’est pas impossible qu’il y ait des trouées.

Puis il insiste sur quelques consignes et revient sur les difficultés qui ont pu être rencontrées la veille. Il semblerait que mon groupe soit le seul à avoir eu un problème de vent.

Quelqu’un s’inquiète de la formation de buée sur le miroir secondaire du télescope. La consigne dans ce cas, c’est de mettre le chauffage à fond dans la voiture et de sortir le télescope au dernier moment de la voiture. Si ça suffit pas, on peut utiliser un éventail pour faire circuler de l’air autour du miroir secondaire pour dissiper la buée. Il y a d’ailleurs une campagne précédente au cours de laquelle quelqu’un a passé 45 minutes à faire ça.

On va dîner rapidement pour avoir le temps de se reposer un peu avant de repartir. Mais pour ma part, l’excitation est à son comble, et je n’arrive pas à dormir. À 1 heure du matin, je me mets en route pour observer l’occultation.

L’occultation

Vu que la veille on a fini l’installation très (trop) peu de temps avant le moment de l’observation, on part une demi-heure plus tôt pour être large. On arrive sur notre nouveau spot d’observation. Il n’y a quasiment pas de vent, ce qui est déjà beaucoup mieux que là où on était la veille. On est arrivés tôt, alors on attend cinq minutes avant de commencer à s’installer. Comme ça, le télescope reste au chaud un peu plus longtemps, et on évite de trop utiliser la batterie avant le moment de collecter des données.

On installe tout, mais cette fois-ci, on a du scotch d'électricien pour éviter que les câbles ne bougent, juste au cas où ce soit la cause des problèmes de la veille avec la raquette.

Une télescope avec quelqu’un à côté qui tient un PC. Tout est éclairé par une lumière rouge

Au moment de faire l’alignement de la monture, le ciel est presque entièrement couvert. On devine Jupiter à travers un fin voile nuageux car elle est très brillante. On essaye de faire l’alignement avec Jupiter et la Lune mais ce n’est pas concluant. Pendant qu’on fait ça, le ciel commence à se dégager, et on arrive à voir une des étoiles de Pégase. On recommence donc l’alignement avec l'étoile Markab. Pendant ce temps, le ciel continue de se dégager petit à petit et on commence à voir Aldébaran, dans le taureau. Ça tombe bien, c’est l'étoile la plus brillante à proximité de l'étoile qu’on va observer. On peut donc terminer l’alignement dans des bonnes conditions.

Puis c’est toute la zone entre Orion et le taureau qui se dégage. On pointe le télescope en direction de l'étoile à observer, et ça y est : on est prêts pour l’occultation avec vingt minutes de rab. Et aucun logiciel n’a encore planté !

Le moteur de la monture a toujours le même problème, qu’on compense avec la raquette. Je commence à me dire que ça va le faire : on va réussir à voir l’occultation. Ou au moins, on verra l'étoile au moment de l’occultation. Et au pire, ça nous donnera quand même des infos sur la trajectoire de Polymèle (le modèle disait que Polymèle avait de grandes chances d'être là, mais Polymèle n'était pas là. À partir de ça, on peut affiner le modèle et faire des meilleures prédictions pour la prochaine fois), même si on voit pas l'étoile « s'éteindre » lorsque Polymèle passe devant.

Vers 4h25, environ cinq minutes avant l’heure de commencer à enregistrer des données, il y a un nuage qui se forme en plein milieu de la portion du ciel qu’on veut observer. Et il ne passe pas, il ne fait que grossir. Bientôt, on ne voit plus aucune étoile. À 4h29, on commence à enregistrer des données, mais dans la caméra, on ne voit rien à part du bruit.

On reçoit des informations au compte-gouttes de la part des autres équipes : quelques équipes ont eu le ciel dégagé au moment de l’occultation, mais aucune n’a vu l'étoile être cachée par l’astéroïde.

Retour à León à 6h30. Josep, un de mes co-équipiers retourne directement chez lui le lendemain sans repasser par Gijón. On se souhaite bonne continuation en échangeant nos coordonnées.

J’ai juste le temps de ranger mes affaires et d’arpenter la ville à la recherche d’un café avant de reprendre la route.

Dernier jour : Les télescopes reprennent la mer

Le dernier jour, on repart de bonne heure à Gijón pour ranger les télescopes et les charger dans un conteneur. J’ai la chance de faire de trajet de León à Gijón avec le responsable scientifique de la campagne. Il me parle pendant deux heures du travail qu’il a fait auparavent pour la sonde New Horizons, et c’est fascinant. Les imprévus auxquels ils ont fait face concernant la propulsion de la sonde et les solutions techniques qu’ils ont du inventer en live, l’utilisation d’un télescope à bord d’un avion pour observer une occultation d’Arrokoth. Le voyage au Sénégal et la collaboration avec les gens sur place pour essayer de voir une occultation de plus…

On arrive très tôt à Gijón et il faut s’activer pour que tout soit en place lorsque les observateurs commencent à arriver pour ranger le matériel qu’ils ont utilisé. On sort les boites et on les aligne, on réfléchit à comment le camion avec le conteneur va pouvoir se garer pour que ce soit facile de le charger, on révise l’ordre dans lequel il faut charger les malles dans le conteneur,…

Des caisses grises et noires rangées le long d’un mur

Vers 11 heures, tout s’accélère, les gens arrivent, rendent le matériel, rangent les télescopes dans les caisses, vont chercher des trucs à grignoter à partager, discutent, essayent de savoir si quelqu’un a réussi à voir l’occultation,… C’est l’effervescence et la déception de ne pas avoir vu le passage de Polymèle devant l'étoile est compensé par la joie d’avoir fait ensemble tout ce qui était possible pour ce projet de grande envergure.

Un camion avec un conteneur dessus

À 14 heures, le camion arrive. On charge le conteneur. Puis on se disperse pour aller manger. Avec Rose et Josie, les deux autres filles de mon équipe, on en profite pour visiter Gijón. On voit le port dans lequel les télescopes seront chargés sur un bateau. Puis on se pose pour boire une bière en terrasse avec quelques tapas bien mérités.

Un port industriel

Conclusion

L’astronomie a ça d’incroyable que les amateurs peuvent jouer avec les professionels. Je n’avais jamais essayé d’observer une occultation avant cette semaine, mais simplement savoir manipuler un télescope était suffisant pour que je puisse être utile à une mission de la NASA. Pour couronner le tout, il semblerait que les seuls astronomes à avoir réussi à observer l’occultation, ce soit des astronomes amateurs qui ne faisaient pas partie de la campagne d’observation de la NASA.

Pour ma part, je rentre à Toulouse avec des étoiles dans les yeux.

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À Propos

Docteur, astrophysicienne. Je joue de l'euphonium, du clavier et du télescope quand je peux.