Anagrammes et incomprehensions
Aventures aux débuts de la lunette astronomique
Après avoir commencé à utiliser une lunette astronomique, Galilée a écrit à son pote Kepler pour lui dire que Saturne change parfois de tronche et a trois formes différentes. Sauf qu'à l'époque c'était la mode d’annoncer ses découvertes sous la forme d’un anagramme. Donc Kepler a rien capté : il a cru que Galilée lui disait que Mars a deux lunes.
Galilée
En fait, ce que Galilée avait vu et qui donnait l’impression que Saturne change de forme, c'était les anneaux de Saturne ! Comme l’axe de rotation de Saturne est penché, parfois on voit les anneaux par la tranche (donc on les voit pas parce qu’ils sont méga fins), parfois on les voit par le dessus et parfois par le dessous.
Comme la lunette astronomique de Galilée quand même un peu rudimentaire, il voyait surtout des taches lumineuses plutôt floues et sans contraste. Bref, il y voyait pas grand chose donc comprenait pas trop ce qu’il voyait.
Il a fallu encore une cinquantaine d’années et de nombreuses améliorations de la lunette astronomique pour résoudre le mystère et comprendre que Saturne a des anneaux.
Kepler
De son côté, Kepler savait que Galilée avait vu 4 lunes autour de Jupiter. Et Kepler, il aimait bien les maths. Donc il s’est dit « si la Terre a une lune et que Jupiter en a 4, Mars en a forcément 2 et Saturne en a 6 ou 8, à voir ».
À l'époque, Kepler n’avait pas de lunette astronomique comme celle de Galilée. Mais il aurait bien aimé pouvoir observer Mars et essayer de confirmer son hypothèse. Alors quand Kepler a reçu l’anagramme de son pote, il s’est un peu emballé et a lu ce qu’il voulait y voir.
Kepler avait raison puisque Mars a bien deux lunes. Mais ce n’est qu’un heureux hasard : son raisonnement était fallacieux et les données qu’il utilisait étaient fausses.
Pour rappel, Kepler pensait que le nombre de lunes suivait une loi arithmétique ou géométrique :
- Terre -> 1
- Mars -> 2
- Jupiter -> 4
- Saturne -> 6 ou 8
Sauf que Jupiter a en fait beaucoup plus que 4 lunes (95 au dernier décompte). Et le nombre de lunes ne dépend pas de l’ordre des planètes.
Fontana
À l'époque, les lunettes astronomiques n'étaient pas encore tout à fait au point et Galilée, c'était pas le seul à pas trop comprendre ce qu’il voyait avec sa lunette astronomique.
Vous ne connaissez probablement pas l’astronome napolitain Francesco Fontana. C’est un contemporain de Galilée, mais il n’a fait aucune découverte notable. On va parler de lui quand même.
Fontana a observé du relief à la surface de Mars : au milieu de la planète il y avait une zone sombre « en forme de pilule », selon ses propres mots.
Cette tache était toujours au même endroit sur le disque martien. Et plus tard, il a vu exactement la même tache à la surface de Vénus. Mais à aucune moment, il ne s’est dit que ça pouvait être un défaut optique de sa lunette.
Évidemment, cette tache en forme de pilule n’existe ni à la surface de Mars ni à la surface de Vénus. La lunette utilisée par Fontana ne permettait pas de voir des détails aussi fins.
Huygens
Il a fallu attendre les améliorations de la lunette astronomique apportées par Huygens pour commencer à cartographier la surface de Mars.
Le meilleur télescope de Galilée avait un grossissement de x20. Celui de Huygens avait un grossissement de x50 et en plus avait de meilleurs composants optiques permettant de corriger certaines aberrations ! Mais surtout, Huygens a résolu le mystère posé par Galilée dans son anagramme à Kepler. La forme étrange et changeante de Saturne est due à la présence d’anneaux !
Huygens (qui a amélioré significativement la lunette astronomique, compris que Saturn est entouré d’anneaux, découvert Titan, est à l’origine de la théorie ondulatoire de la lumière et bien d’autres) rejetait la théorie de Copernic selon laquelle les planètes tournaient autour du Soleil, pas de la Terre.
On dit que c’est pas parce qu’on est expert dans un domaine qu’on est expert dans un autre domaine. Mais en fait, on n’a pas toujours raison quand on parle de son domaine d’expertise non plus.
Bonus
Très exactement, l’anagramme était :
s m a i s m r m i l m e p o e t a l e u m i b u n e n u g t t a u i r a s
Galilée voulait dire « Altissimum planetam tergeminum observavi. » mais Kepler a compris « Salue umbistineum geminatum Martia proles. »