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On devine une forme sombre grâce aux traits de l'arrière-plan qui sont partiellement cachés.

L’objet le plus éloigné du Soleil qui ait été exploré par une sonde spatiale fabriquée par des humains s’appelle Arrokoth. Voici l’histoire qui a menée à son survol

En 2015, la sonde spatiale New Horizons survolait Pluton avec succès. Mais quand on prépare une mission spatiale, on aime bien avoir un peu de rab de ressources pour parer aux imprévus. Puis une fois que la mission principale est couronnée de succès, on peut utiliser les ressources restantes pour faire une extension de la mission.

Comme la mission New Horizons se passait bien, ça faisait quelques années que les scientifiques se demandaient si c'était possible d’envoyer la sonde explorer d’autres objets du système solaire après Pluton. Mais d’abord, il fallait trouver quel objet on pourrait atteindre, et c'était pas gagné. On connait très peu d’objets aussi éloignés du Soleil, et à l'époque on en connaissait encore moins. Et puis l’espace, c’est vaste, et la sonde n’avait que très très peu de carburant pour faire des manœuvres. En plus, il ne fallait pas que la cible soit trop éloignée si on voulait pouvoir transmettre des données au moment où on la survolait et récupérer des images. Bref, trouver une cible pour faire une extension de mission c'était comme trouver une aiguille dans une botte de foin.

En 2011, les scientifiques ont commencé à écumer les données de Hubble à la recherche d’objets à explorer, et 10 jours après, les scientifiques ont trouvé un objet qui a reçu la dénomination temporaire MU69. Et en tout, cinq cibles potentielles ont été trouvées. Sur les cinq, il y en a trois qui étaient beaucoup trop éloignées pour que New Horizons puisse s’y rendre avec ce qui lui restait de carburant. Parmi les deux cibles restantes, l’une des deux aurait nécessité tout le carburant restant. Le choix entre les cinq objets trouvés grâce au télescope Hubble a donc été vite vu.

Pendant ce temps, New Horizons continuait de se balader dans le système solaire et un mois et demi après le survol de Pluton, l’extension de la mission pour survoler MU69 a été approuvée par la NASA. Mais au delà de Pluton, il faut au moins 8 heures pour envoyer un message à la Terre et recevoir la réponse. Or le survol n’allait durer qu’une demi-heure. Il était donc hors de question de piloter la sonde en temps réel et il fallait connaître précisément la trajectoire de MU69 à l’avance pour être au bon endroit au bon moment. Et puis il fallait bien connaître sa forme et savoir s’il y avait des débris autour parce que toute manœuvre d'évitemment était impossible. MaIs pour obtenir ces infos, même les observations d’Hubble n'étaient pas suffisantes. Quand on prend MU69 en photo avec les meilleurs télescopes, MU69 c’est à peine un pixel dans l’image.

Pour connaître la forme et l’orbite d’un tel objet, les astronomes sont donc obligés de ruser. En l’occurence, ils ont attendu que MU69 passe devant une étoile. C’est ce qu’on appelle une occultation, et ça dure quelques secondes tout au plus. En chronométrant le temps pendant lequel l'étoile est cachée par MU69, on peut en déduire la taille de MU69. Et comme il faut être très précisement aligné avec l'étoile et Arrokoth, tout le monde ne pourra pas voir l’occultation. En déterminant exactement où sur Terre l’occultation était visible, on peut en déduire la position de MU69.

Mais ces occultations sont très rares, et pour chaque occultation, il n’y a qu’une bande de quelques dizaines de kilomètres de large depuis laquelle on peut la voir. Et puis en observant une occultation depuis un endroit de la Terre, on ne voit que la position et la largeur d’une bande de l’objet. On a donc tout intérêt à observer autant d’occultations que possible depuis plusieurs endroits différents pour voir plusieurs bandes de l’objet et reconstituer sa forme.

Avec le peu qu’ils connaissaient de MU69, les scientifiques ont établi que 4 occultations seraient visibles avant que la sonde New Horizons fasse son survol. La première occultation devait avoir lieu au dessus de l’Afrique. Les scientifiques ont emmené une vingtaine de télescopes en Afrique du Sud pour l’observer depuis plusieurs endroits afin de voir plusieurs bandes. Mais on connaissait tellement mal la trajectoire de MU69 que l’occultation a eu lieu 100 kilomètres à côté de l’endroit prévu. Les télescopes étaient donc au mauvais endroit et aucune donnée n’a pu être collectée.

La deuxième occultation avait lieu au dessus de l’océan Pacifique, donc pas un bon endroit pour poser un télescope. Initiallement, il n'était pas prévu de l’observer, mais vu le résultat – ou plutôt l’absence de résultats – de la campagne d’observation en Afrique du Sud, les scientifiques ont décidé d’essayer de l’observer quand même. Pour ça, ils ont utilisé un télescope à bord d’un Boeing 747 du nom de SOFIA. Le pilote de l’avion a réussi à suivre la ligne le long de laquelle l’occultation était visible, et avec le télescope, on a vu l'étoile être brièvement cachée par MU69.

La troisième occultation était visible depuis l’Amérique du Sud. Pendant cette campagne, 6 des 20 télescopes déployés ont pu voir MU69 passer devant une étoile. De ces observations, on a pu déduire que MU69 avait à peu près la forme d’un bonhomme de neige. Grâce à cette campagne d’observation couronnée de succès, les scientifiques étaient confiants des manœuvres à faire effectuer à la sonde New Horizons.

La quatrième occultation était visible du Sénégal. Les 20 télescopes qui avaient déjà servi en Afrique du Sud et en Argentine ont été envoyés au Sénégal, mais au moment de l’occultation, il pleuvait. Heureusement, en combinant les données de Hubble avec l’occultation vue par SOFIA et celle en Argentine, il y avait assez d’informations pour survoler MU69 en sécurité, et le 1er janvier 2019, New Horizons est passée à 3 500 kilomètres.

En novembre 2019, l’Union Astronomique internationnale a officiellement baptisé MU69 Arrokoth, un mot qui veut dire ciel en Powhatan, une langue qui était jadis parlée en Virginie, là où Arrokoth a été découverte.


Vous pouvez écouter cette histoire dans le podcast SpaceSheep.

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Docteur, astrophysicienne. Je joue de l'euphonium, du clavier et du télescope quand je peux.