Guillaume Le Gentil
L'astronome connu pour les observations qu'il n'a pas faites
Au tout début du 18è siècle, l’astronome Edmond Halley a eu la chance d’observer le passage de la planète Mercure directement devant le Soleil, ce qu’on appelle un transit. Il a été très inspiré par cette observation, qui lui a donné l’idée d’une expérience permettant de déterminer la distance entre le Soleil et la Terre.
Pour cette expérience, il suffisait d’observer le transit d’une planète – préférentiellement Vénus – depuis plusieurs endroits de la Terre. Des observateurs à différentes latitudes verraient la planète passer devant différentes parties du disque solaire. Puis, en connaissant la distance entre les observateurs, on pourrait en déduire la distance Terre-Soleil par triangulation.
Ce protocole expérimental a mené à ce qu’on pourrait appeler la première collaboration scientifique internationale. Les transits sont des événements plutôt rares. Pour vous donner une idée, le prochain transit de Vénus aura lieu en l’an 2117. Donc en 1761, quand un transit de Vénus était prévu, les astronomes ne voulaient pas rater l’occasion.
Plusieurs expéditions ont été montées pour envoyer des astronomes aux quatre coins du monde, et parmi ces expéditions, il y a celle de Guillaume Le Gentil.
Pour observer le transit de 1761, Guilaume Le Gentil est parti à Pondichéry, un comptoir français en Inde. A l'époque, le canal de Suez n’existait pas, et en plus, une fois sur place, il fallait trouver un endroit duquel l’observation pourrait se faire dans de bonnes conditions. Histoire d’avoir une marge confortable en cas d’imprévu, Le Gentil prend la mer 15 mois avant la date du transit.
Il fait escale à l’Ile Maurice puis embarque à bord d’une frégate qui doit l’emmener jusqu’en Inde. Pendant qu’il est en mer, la guerre de Sept Ans éclate entre la France et le Royaume-Uni. Le Gentil apprend la nouvelle alors qu’il est presque arrivé à destination. Mais impossible alors de se rapprocher de Pondichéry, puisque l’Inde est une colonie anglaise. Il fait demi-tour, pour revenir à l’Ile Maurice.
Pas de bol, il arrive sur terre ferme 6 jours après le transit. Le jour du transit de Vénus, il a quand même tenté d’observer le passage de Vénus devant le Soleil, mais la mer bougeait trop, et il a pas réussi à faire de mesures suffisamment précises.
Heureusement, les transits de Vénus viennent par paires. Le transit précédent était en 1639 – plus d’un siècle auparavent, mais le transit suivant n'était que 8 ans plus tard. Le Gentil décide donc de rester dans les mers d’Inde.
Il passe le temps en cartographiant la côte de Madagascar, en étudiant les animaux de la région et en cherchant un lieu propice à l’observation astronomique. Il décide d’observer le transit de 1769 depuis Manille, dans les Philippines actuelles. Mais les autorités espagnoles le prennent pour un espion, donc ce plan là tombe aussi à l’eau.
Entre temps, Pondichéry a été rendu à la France, et Le Gentil va y construire un observatoire. Dans les jours précédant le transit, la météo est bonne. mais le jour même, le ciel est couvert, rendant l’observation impossible.
Je m’imagine à sa place, les quelques jours juste avant le transit, me dire que « c’est bon, ça va le faire », que la météo va continuer d'être clémente. Et puis voir le ciel se recouvrir petit à petit. Espérer qu’il reste une trouée dans les nuages juste assez large pour voir le Soleil au bon moment. Voir qu’il commence à pleuvoir des cordes. Constater que l’heure du transit vient de passer, et que je ne pourrais pas prendre les mesures que je voulais…
Le Gentil traverse un épisode dépressif puis reprend la mer pour revenir en France. Le trajet du retour prend du retard lorsque tout l'équipage tombe malade. Puis le navire a traversé une tempête au cours de laquelle le capitaine a disparu. Enfin, il s'échoue sur l’Ile de la Réunion – alors appelée Ile Bourbon – et doit attendre qu’un navire puisse le ramener chez lui.
Il rentre en France presque 12 ans après son départ et apprend qu’il avait été déclaré mort. Entre la guerre, la météo, les naufrages, et un passeur malhonête qui empochait l’argent sans vraiment transporter le courrier… aucune de ses lettres n'était arrivée, et sa famille avait déjà commencé à se partager l’héritage. Sa femme s'était même remariée. Pour couronner le tout, un de ses étudiants avait publié les travaux de Le Gentil sous son propre nom.
Mais tout est bien qui finit bien. Le roi a donné des terres à Le Gentil, l’a réintégré dans l’académie royale des sciences, et ses travaux lui ont été réattribués. Et puis de nombreuses autres expéditions ont été couronnées de succès, ce qui a permis de déterminer pour la première fois la distance entre la Terre et le Soleil.
Vous pouvez écouter cette histoire dans le podcast SpaceSheep.
Image : Illustration du transit de Vénus. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:VenusTransitVermeer_(fr).svg
Pour aller plus loin :
- Voyage dans les mers de l’Inde, fait par ordre du Roi, à l’occasion du passage de Vénus, sur le disque du Soleil, le 6 juin 1761 & le 3 du même mois 1769 par M. Le Gentil, de l’académie royale des sciences. Imprimé par ordre de sa Majesté, two volumes, Paris 1779 and 1781. https://books.google.fr/books?id=oZEAAAAAMAAJ&printsec=frontcover&dq=le+gentil,+voyage+dans+les+mers+de+l%27inde&hl=fr&sa=X&ei=B6ylU6XSDYTDPJOygdAE&ved=0CDoQ6AEwAA#v=onepage&q=sonnerat&f=false