Lucy, Polymèle et al.
Première partie du carnet de voyage de la campagne d'observation de l'astéroïde Polymèle en Espagne
À partir du 16 octobre, une sonde du nom de Lucy sera lancée vers les astéroïdes troyens de Jupiter. J’ai été recrutée pour participer à une campagne d’observation pour préparer cette mission. Voici pourquoi cette campagne a été réalisée.
Polymèle et les troyens
Les troyens sont une famille d’astéroïdes qui se trouvent aux points de Lagrange de Jupiter. Ces points sont souvent notés L4 et L5.
Non, pas ces L5 là.
Les astéroïdes qui se trouvent dans ces deux régions sont baptisés d’après les héros mythologiques de la guerre de Troie. Ceux en L4 ont des noms grecs, et ceux en L5 ont des noms de troyens. Et tout ce beau monde est en orbite autour du Soleil à la même vitesse que Jupiter.
Fun fact : Les troyens sont aussi éloignés de Jupiter que du Soleil. Il y a donc des moment où les troyens sont plus proches de la Terre qu’ils ne le sont de Jupiter !
Du point de vue de la gravité, L4 et L5 sont stables. Ça veut dire que quand un astéroïde se retrouve dans une de ces régions, il peut y rester des milliards d’années. C’est une des raisons pour lesquelles c’est si intéressant de les étudier : certains de ces astéroïdes sont (presque) aussi vieux que le système solaire. À ce titre, ce sont des espèces de fossiles qui peuvent nous donner plein d’indices sur la façon dont le système solaire et les planètes se sont formés.
L’astéroïde visée par la campagne d’observation à laquelle j’ai participé s’appelle Polymèle. C’est un astéroïde du camp grec qui a été baptisé d’après la fille d'Éole (quoique j’ai pas exactement compris qui elle était dans la mythologie). D’un point de vue étymologique, son nom signifie « plusieurs moutons ». C’est donc l’astéroïde parfait pour moi 😁 🐑 🐑 🐑 🐑 🐑 🐑
Lucy in the sky with diamonds
À ce jour, aucun astéroïde troyen n’a été exploré de près. Et c’est là qu’intervient la sonde Lucy : la NASA a décidé de lancer une mission avec pour destination les astéroïdes troyens.
Cette mission a été baptisée d’après l’australopithèque Lucy (elle-même baptisée d’après la chanson des Beatles). Ce nom est symbolique : ce fossile d’australopithèque a permis de comprendre de nombreuses choses sur l’origine des humains. De même, on s’attend à ce que ces « fossiles » du système solaire nous donnent plein d’infos sur l’origine du système solaire.
Puisque Lucy va aller jusqu'à l’orbite de Jupiter (cinq fois plus loin du Soleil que ne l’est la Terre), elle ne va pas recevoir beaucoup de lumière du Soleil. Les ingénieurs de la NASA l’ont donc équipée de deux énormes panneaux solaires : chaque panneau fait 6 mètres de diamètre ! De toutes les sondes qui utilisent des panneaux solaire, ce sera même la plus éloignée du Soleil.
La mission de Lucy est très longue. Elle va décoller à partir du 16 octobre et commencer par faire deux tours du Soleil. À chaque tour, elle va passer à côté de la Terre et l’utiliser comme fronde gravitationnelle pour prendre de la vitesse. Puis elle va s'élancer vers l’orbite de Jupiter.
En chemin, elle va passer à côté d’un astéroïde de la ceinture principale du nom de Donald Johanson1. En 2025, elle va pouvoir étudier cet astéroïde ce qui constituera un test de tous ses instruments avant de commencer sa mission principale.
En 2028, elle va arriver à proximité de son premier astéroïde troyen. Elle va en visiter quatre dans le camp grec, puis faire une boucle, repasser à côté de la Terre, et poursuivre son orbite vers le camp troyen pour examiner encore deux autres astéroïdes, Patroclus et Menœtius qui sont en orbite l’un autour de l’autre.
Polymèle – l’astéroïde pour lequel j’ai participé à une campagne d’observation – est le plus petit des troyens prévus dans la mission. Ce qui le rend d’autant plus difficile à observer depuis la Terre !
L’orbite autour du Soleil qui permet à Lucy de passer d’un point de Lagrange à l’autre est stable. Ça veut dire que tant qu’il n’y a pas de perturbation extérieure, elle peut osciller entre ces deux régions indéfiniment. À la fin de sa mission, lorsque la sonde n’aura plus de carburant, elle restera dans cette orbite et continuera de rendre visite aux troyens. Peut-être que des humains du futur très lointain retrouveront la sonde ?
Les sciences occultes occultations
Les astéroïdes troyens sont pas bien grand, et en plus ils sont loin. C’est donc pas facile de les observer. Même avec les meilleurs télescopes, ces astéroïdes font à peine quelques pixels dans les images. C’est loin d'être suffisant pour connaître leur forme et leur orbite précise. Et surtout, quand un voit une tache floue de quelques pixels, on ne sait pas si on regarde un très gros astéroïde très sombre (donc qui réfléchit très peu de lumière), ou si on regarde un tout petit astéroïde qui réfléchit beaucoup de lumière.
Mais c’est super important de connaître la forme et l’orbite d’un objet avant d’envoyer une sonde se balader autour. Si on ne connaît pas précisément l’orbite de l’astéroïde, on risque d’envoyer la sonde au mauvais endroit au mauvais moment. Et si on ne connaît pas bien sa forme (y compris si on ne sait pas si l’astéroïde a un compagnon binaire ou un anneau), alors la sonde risque de heurter un bout d’astéroïde qui dépasse.
Pour éviter tous ces désagréments, les scientifiques ont trouvé un moyen astucieux de mieux connaître les astéroïdes. Ils attendent que l’astéroïde passe devant une étoile et ils chronomètrent le temps pendant lequel l'étoile est cachée par l’astéroïde. On appelle ce type d'événement astronomique une occultation.
Mais pour voir une occultation, il faut être parfaitement aligné avec l'étoile et l’astéroïde. Il n’y a qu’une bande de la largeur de l’astéroïde depuis laquelle une occultation donnée est visible. Et à la vitesse à laquelle les objets du système solaire se déplacent, une occultation ne dure que quelques secondes. C’est donc très important d'être au bon endroit au bon moment.
Observer une occultation permet de connaître une des cordes (en rouge dans le gif animé) de l’astéroïde.
Selon l’endroit où on se trouve sur Terre, l'étoile et l’astéroïde ne seront pas alignés exactement de la même façon. Ainsi, en plaçant plusieurs télescopes, on peut voir plusieurs cordes de l’astéroïde et en déduire sa forme approximative.
Pour prédire le moment et le lieu où une occultation sera visible, on utilise les données du télescope Gaïa pour connaître la position exacte de l'étoile, et on combine les données de Hubble ou de télescopes au sol avec des modèles mathématiques pour connaître la trajectoire approximative de l’astéroïde.
Conclusion
Avant la campagne d’observation que je vais vous raconter dans un prochain article, une occultation de Polymèle a déjà été observée. Cette occultation précédente a permis d'établir que le rayon de Polymèle est compris entre 21 et 29 kilomètres. La NASA veut maintenant mieux connaître sa forme précise et savoir si Polymèle a un astéroïde compagnon en orbite autour de lui. C’est pourquoi une campagne d’observation a été organisée pour l’occultation de Polymèle du 1er octobre 2021. J’ai eu la chance de participer à cette campagne, et je vous la raconte dans un prochain article.
Pour écouter l’histoire d’une série d’occultations qui a eu lieu il y a quelques années, vous pouvez écouter le podcast SpaceSheep au sujet d’Arrokoth
Merci à tous les scientifiques pendant la campagne d’observation qui ont pris le temps de m’expliquer leurs travaux. Merci à Gee qui a mis a disposition son générateur de Geektionnerd.
Pour aller plus loin
- Une chronologie de la mission Lucy
- Les détails techniques de l’occultation à laquelle j’ai participé
- Plein d’infos sur la mission Lucy
- Les instruments qui seront à bord de Lucy
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Cette astéroïde a été baptise d’après le paléontologue qui a découvert l’australopithèque Lucy. ↩︎