Moutmout

Le blog du Moutmout

Astronomie, informatique, reflexions diverses

Lecture de 9 Minutes

Le résultat de la nuit d'observation : une photo en noir et blanc de la nébuleuse du Pélican.

Où je raconte ma soirée d’observation sur le télescope de 60 cm de l’Observatoire Astronomique de Genève, et où j’expose quelques élements d’astrophoto.

À l’Observatoire Astronomique de Genève, il y a un télescope dont le miroir fait 60 cm de diamètre. Il n’est pas utilisé pour faire de la recherche de pointe (ces télescopes là sont généralement plus gros et dans des endroits avec moins de pollution lumineuse et de nuages), mais plutôt à former les étudiants à l’utilisation d’un télescope. Et de temps en temps, il sert à des gens un peu étranges (comme moi) qui viennent faire de l’astrophoto.

Ce soir, la météo devrait être excellente avec un bon seeing et quasiment pas de nuages. Je vais essayer de prendre en photo IC 50701, aussi appellée Nébuleuse du Pélican. C’est un nuage d’hydrogène ionisé situé à 2000 années-lumière de nous. Au milieu de tout cet hydrogène, il y a plein d'étoiles qui sont en train de naitre. Il paraît que la forme du nuage ressemble à celle d’un pélican, mais je ne suis pas convaincue.

Direction la coupole, et c’est parti pour une nuit d’observation !

Moi devant la coupole à la tombée de la nuit

Le télescope a besoin d'être un peu en hauteur pour voir au dessus de la cime des arbres puisqu’il est au milieu d’un bois ! Mais l’espace dans le batiment sous le télescope n’est pas perdu. En plus de la salle de contrôle pour piloter le télescope, il y a, au rez-de-chaussée, une salle de contrôle qui permet de piloter un autre télescope plus grand situé à l’autre bout du monde et qui fait la chasse aux exoplanètes : le télescope Euler dans le désert de l’Atacama au Chili. Le télescope qui est au Chili est utilisé par des professionnels, et c’est pas facile d’obtenir du temps dessus, alors je me « contente »2 du télescope sur le toit.

J’entre et je monte à l'étage pour allumer le PC puis j’entre dans la coupole pour préparer le télescope. Ça se voit pas trop dans la photo, mais il est immense. Chaque bras de la monture qui tient le télescope est plus large que ma tête.

Une photo du télescope rangé. Il est en position parking et un cache couvre le côté par lequel entre la lumière.

La procédure pour observer avec un télescope comme celui-ci est assez différente de ce dont j’ai l’habitude avec des plus petits télescopes. Pas besoin d’assembler la monture ni de mettre le télescope en station3. Et puis quand on veut pointer un objet, il suffit de cliquer sur la carte du ciel dans le logiciel, un peu comme avec Stellarium. Par contre, on est à l’intérieur avec les volets fermés pour éviter de créer de la pollution lumineuse, donc on peut pas regarder les étoiles en attendant que le télescope et la caméra CCD qui y est accrochée fassent leur travail.

Il faut allumer les gros interrupteurs sur la monture, ouvrir le cimier (la partie du dome qui peut s’ouvrir) et monter sur l’escabeau pour enlever le cache du télescope. Ensuite, on enclenche le mode automatique de la coupole pour qu’elle tourne en même temps que le télescope et que l’ouverture soit alignée avec ce qu’on veut observer. Il faut pas oublier de débrancher le câble qui relie le cimier à son boitier de contrôle, sinon, aurait des ennuis au moment de faire tourner la coupole sur elle-même !

Ensuite, c’est retour dans la pièce qui sert de salle de contrôle pour ouvrir les logiciels qui permettent de piloter le télescope. C’est la grande classe quand le fond d'écran a été fait avec le télescope piloté par l’ordinateur en question.

Ma tête devant les deux écrans de l'ordinateur. Le fond d'écran représente une galaxie spirale.

D’abord j’allume les logiciels qui font le lien entre le télescope et le PC, puis SkyX, un logiciel avec une jolie interface pour envoyer des ordres au télescope. Par l’interface logicielle, j’ouvre le cache qui protège le miroir au fond du télescope, et je saisis les coordonnées GPS et l’heure du lieu d’observation (pour que le logiciel sache dans quelle direction pointer le télescope quand je lui dis de me montrer tel ou tel objet).

Pendant que ces logiciels moulinent (et c’est pas rapide), j’ouvre aussi un navigateur pour voir :

  • La météo en temps réel. S’il se mettait à pleuvoir, il faudrait vite tout fermer.
  • La webcam qui est installée sous la coupole et qui permet d’avoir un visuel sur le télescope.
  • Telescopius parce qu'à ce moment là, je ne me souvenais plus du nom de ce que j’avais décidé d’observer.
  • La documentation du télescope. En fin de compte, je ne m’en suis pas servie, mais parfois c’est pratique alors je l’ai ouverte au cas où. De toutes façons, j’avais rien de mieux à faire pendant que j’attendais que les autres logiciels fassent leur tambouille.

Je dis au dôme de suivre le télescope. C’est-à-dire que je veux que le dôme tourne pour que l’ouverture soit automatiquement en face du télescope. Et là, c’est le drame. Je m’apperçois que la coupole tourne sans jamais s’arrêter. Le responsable du télescope m’avait prévenue qu’il y a un problème avec le suivi du dôme à cause de la canicule. Il va falloir aller sous le dôme et ajuster sa position « à la main » à chaque fois que je pointe un objet différent, et si jamais le télescope se met à pointer vers le dôme plutôt que vers le trou dans le dôme à force de suivre la rotation de la Terre.

Une photo des deux écrans avec d'un côté une vidéo de ce qu'il se passe sous le dôme, et de l'autre côté le logiciel qui pilote le télescope avec une carte du ciel cliquable.

Je dis au télescope de pointer vers la nébuleuse qui m’intéresse. Évidemment, la coupole est pas alignée avec le télescope.

Devoir aller sous le dôme pour permettre au télescope (enfin, ici, pour permettre au dôme du télescope) et compenser la rotation de la Terre, ça me fait penser à une nuit d’observation au Pic du Midi en février. Le mécanisme qui faisait tourner le télescope là-bas avait une butée, et de temps en temps, il fallait se rendre sous le dôme pour le remettre à zéro. Et si on ne le faisait pas à temps, on se retrouvait avec des images dans lesquelles les étoiles traçaient des lignes. Mais il faisait si froid sous le dôme au Pic du Midi. Au moins ici, je suis confortable.

Je vais sous le dôme pour le régler en mode « manuel », et cette fois, tout est prêt pour commencer les observations.

Photo de l'écran avec la carte du ciel du logiciel qui pilote le télescope. La position de la nébuleuse du Pélican est marquée par des cercles jaunes et rouges.

Les capteurs CCD ou CMOS sont monochromes4. Pour obtenir des photos en couleur, on prend plusieurs photos avec plusieurs filtres différents, puis on les superpose.

Je commence par faire une série de photos avec le filtre rouge. Avec des poses de cinq minutes, on distingue la forme de la nébuleuse dans les images. Je lance une série de cinq photos de cinq minutes5. Dans une des photos, un satellite passe. Je fais donc une photo de plus pour compenser.

Photo de l'écran avec le résultat d'une des poses de 5 minutes dans le filtre rouge.

Puis je change le filtre et je fais une photo avec le filtre vert et un temps de pose de 5 minutes. On ne voit pas du tout la forme de la nébuleuse. Elle émet donc beaucoup moins de lumière dans le vert que dans le rouge. J’allonge le temps de pose et décide de faire des poses de 15 minutes pour le vert.

Permière pose de 15 minutes : un satellite passe. Deuxième pose de 15 minutes : photo toute blanche, complètement sur-exposée ! Je vais jeter un oeil dehors, le ciel s’est couvert de nuages moutonneux. Impossible de poursuivre mes observations pour l’instant. Je regarde ce que dit la météo : ciel couvert jusqu'à 6 heures du matin. Tant pis, j’aurais une image monochrome de la nébuleuse du Pélican.

Je retourne dans le dôme pour fermer le cimier, puis je prends mes darks, mes flats et mes bias6. Ensuite, j'éteins et je range. Et maintenant, direction dodo, le traitement des images attendra demain !

L’image de l’en-tête de cet article est celle prise au cours de cette nuit d’observation.


  1. Il y a tellement d’objets dans le ciel que ce serait impossible de tous leur trouver des noms prononçables. Les astronomes qui font des catalogues avec tous les objets connus leur donnent plutôt une série de lettres et/ou de nombres. Dans ce cas, IC, c’est le nom du catalogue et 5070, c’est le numéro de l’objet dans le catalogue. Certains objets comme IC 5070 ont un nom « commun ». ↩︎

  2. En vrai, c’est vachement bien et je suis ravie de pouvoir utiliser ce télescope. Et puis le télescope Euler ne permet pas de faire les mêmes choses. Notamment, Euler est équipé d’un spectrographe, mais ne permet pas vraiment de faire de l’astrophoto. C’est deux télescopes différents avec des façons différentes de regarder le ciel et ils ne sont pas interchangeables, mais ils sont tous les deux utiles. ↩︎

  3. La mise en station, c’est comme ça qu’on appelle le fait d’aligner le télescope avec l'équateur pour pouvoir plus facilement compenser le mouvement de rotation de la Terre. ↩︎

  4. Ce sont les mêmes capteurs dans les appareils photos que vous possédez. Si vous prenez des photos couleur, c’est juste qu’il y a des tous petits filtres rouges, verts ou bleus devant chaque pixel du capteur. En astrophoto, on peut préférer utiliser les filtres les uns après les autres parce que ça permet de changer plus facilement les filtres (pour utiliser des filtres autres que rouge, vert ou bleu), et que c’est plus facile comme ça de collecter plus de lumière. ↩︎

  5. C’est utile de prendre une série de plusieurs images parce que ça permet d’enlever les valeurs anormales. Par exemple, si un rayon cosmique vient taper le capteur pendant une des photos, le pixel qui a été tapé sera très brillant. Si on n’a qu’une seule photo, on ne sait pas si le pixel est très brillant parce qu’il y a quelque chose dans le ciel à cet endroit là, ou si c’est parce qu’il y a eu un rayon cosmique. Si on prend trois photos, on peut savoir si la valeur d’un pixel dans une des trois photos est anormalement élevée.

    En plus, on peut empiler les photos dans la série pour booster un signal faible. Si on a cinq photos de cinq minutes chacune, on a collecté autant de lumière que si on avait fait une pose de 25 minutes. ↩︎

  6. Il y a plein de phénomènes qui vont venir dégrader la qualité de l’image. Le bruit thermique au niveau du capteur, le fait que chaque pixel dans le capteur va répondre un peu différemment en recevant la même quantité de lumière,… Les darks, les flats et les bias sont trois types d’images qu’on prend pour compenser certains de ces phénomènes. ↩︎

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Docteur, astrophysicienne. Je joue de l'euphonium, du clavier et du télescope quand je peux.