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Deux galaxies en interaction.

Plus des trois-quarts de la matière dans l’univers, c’est de la matière noire. Mais c’est quoi la matière noire?

Fritz Zwicky était un astronome suisse réputé pour son caractère exécrable. Pour vous donner une idée du personnage, il aimait insulter ses collègues en disant que c'était des imbéciles sphériques. Parce que tu peux regarder une sphère de n’importe quel côté, elle aura toujours la même tête, donc un imbécile sphérique, c’est quelqu’un, t’as beau le regarder de n’importe quel côté, c’est toujours un imbécile.

En 1937, ce cher Fritz Zwicky voulait estimer la masse des amas de galaxies. Pour ça, il a testé deux méthodes de calcul différentes. D’abord, il a regardé la quantité de lumière émise par ces amas, et si l’amas produisait mille milliards de fois plus de lumière que le Soleil, alors il disait que l’amas contenait mille millards d'étoiles comme le soleil, et donc qu’il était mille milliards de fois plus lourd que le Soleil. Après ça, il a regardé la vitesse à laquelle les galaxies de l’amas se déplacent. A cause de la gravité, les galaxies de l’amas sont attirées les unes par les autres. Du coup, elles tomberaient les unes sur les autres si elles étaient pas en train de bouger assez vite. A l’inverse, si elles bougent trop vite, elles vont s'éjecter de l’amas et partir vivre leur vie au loin. Donc en regardant la vitesse des galaxies, il a pu trouver la masse de l’amas.

Et c’est là qu’est l’os hélas. La masse qu’il a trouvé en regardant les vitesses était 400 fois plus grande que la masse qu’il a trouvé en regardant la luminosité. Zwicky s’ est dit qu’il y avait peut-être une espèce de “matière noire” qui aurait une masse mais qui serait invisible pour les télescopes.

Mais il faut plus qu’une vague intuition pour convaincre les astronomes, et d’ailleurs, il s'était un peu trompé dans ses calculs . Le ratio était en fait plus petit que ce qu’il avait estimé. Et puis avec les nouvelles techniques d’observation, on arrivait à voir de la matière qu’on ne savait pas voir avant, ce qui expliquait en partie l'écart entre les deux méthodes pour mesurer la masse des galaxies. En fin de compte, le ratio entre les résultats des deux calculs était beaucoup plus petit que 400. Et l’hypothèse de matière noire a été plus ou moins oubliée pendant quelques décennies.

C’est seulement dans les années 60, avec les travaux de Vera Rubin que les astronomes ont commencé à prendre au sérieux l’existence de la matière noire. Elle a regardé la vitesse à laquelle les galaxies tournent sur elles-mêmes. Une fois qu’on a fait la somme de la masse de toutes les étoiles plus toute la poussière plus tout le gaz qu’il y a dans une galaxie, on peut utiliser les lois de la gravitation pour déterminer la vitesse à laquelle toute cette matière devrait tourner. Ça c’est ce que nous dit le modèle. Mais quand on regarde la vitesse à laquelle les galaxies tournent vraiment sur elles-mêmes, on s’apperçoit que la partie extérieure des galaxies tourne plus vite que ce que dit le modèle.

Mais dans le modèle, si on fait comme si la galaxie était 4 fois plus massive qu’elle ne l’est réellement, on retrouve la vitesse de rotation qui est observée en vrai. Ce qui veut dire que soit il y a effectivement beaucoup plus de matière que ce qu’on peut voir, soit il y a un problème dans le modèle.

On se retrouve un peut dans la même situation que quelques temps auparavent, quand on s’est apperçus que les trajectoires de Mercure et Uranus ne respectent pas les lois de la gravitation. Les astronomes en ont déduit la présence d’une sorte de « planète noire » qui restait à découvrir. J’en parle plus ici, mais en quelques mots, dans le cas d’Uranus, il y avait de la matière qu’on n’avait jamais vue jusqu'à ce qu’on découvre Neptune. Alors que dans le cas de Mercure, la physique que l’on connaissait était insuffisante et il a fallu attendre la relativité générale d’Einstein pour comprendre ce qu’on voyait.

Et bien pour la matière noire, c’est pareil. On ne sait pas s’il y a de la matière qu’on ne sait pas encore observer, ou si les lois de la gravitation qu’on connaît sont insuffisantes pour tout expliquer. Ou un mélange des deux. Et ça fait quelques décénnies que les astrophysiciens essayent de répondre à la question : « C’est quoi la matière noire ? ». Certains essayent de trouver des nouvelles particules au CERN, d’autres essayent de trouver de nouvelles équations qui décrivent mieux ce qu’on observe dans l’univers.

Une des étapes pour répondre à cette question, c’est de cartographier les effets de cette matière noire en 3D dans tous l’Univers. Et c’est un des objectifs du télescope Euclid qui sera lancé en 2022 pour prendre en photo des galaxies jusqu'à 10 milliards d’années-lumière. Et j’ai hâte de voir ce qu’on va découvrir dans les années qui viennent au sujet de la matière noire !


Vous pouvez écouter cette histoire dans le podcast SpaceSheep

Image : Deux galaxies en interaction. Domaine publique.

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Docteur, astrophysicienne. Je joue de l'euphonium, du clavier et du télescope quand je peux.