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Peser Jupiter

Détermination de la masse de Jupiter à partir d'observations astronomiques

Lecture de 10 Minutes

Un bout de la surface de Jupiter avec une tache noire au milieu.

Comment peut-on connaître la masse de Jupiter alors qu’on ne peut pas la poser sur une balance ? Cet article vous montre comment faire avec un télescope, la troisième loi de Kepler et un peu de calcul. J’ai fait faire cette expérience aux participants 2e étoile des camps astros de l’association Planète Sciences entre 2018 et 2020. Cet article a été écrit pour les Cahiers Clairaut, la revue trimestrielle du CLEA.

Introduction

La loi de Kepler

En 1609, Kepler a découvert que les planètes suivent des orbites elliptiques autour du Soleil, et que le Soleil est situé à un des foyers de l’ellipse. Cette découverte s’applique aux planètes autour du Soleil, mais aussi aux satellites autour des planètes, et de façon générale à tout objet en orbite autour d’un autre objet significativement plus lourd que lui.

La troisième loi de Kepler décrit le lien entre la masse d’un objet et la trajectoire des objets qui l’orbitent. Formellement, cette loi énonce :

Soit un objet de masse $m$ en orbite autour d’une objet de masse $M$ de sorte que le demi-grand axe de l’orbite soit égale à $a$ et sa période égale à $T$. Alors on a

$$ \frac{a^3}{T^2} = \frac{G(M+m)}{4\pi^2} $$

avec $G=6,674 × 10^{−11} m^3. kg^{−1}$, la constante universelle de gravitation.

Le terme de droite dans cette équation est une constante. Ainsi, l’orbite des satellites de Jupiter est directement liée à la masse de Jupiter. En observant le déplacement de Io – un des satellites galiléens – nous allons en déduire la masse de Jupiter.

Ici, nous ferons quelques approximations :

  • Considérons que l’orbite des satellites galiléens est circulaire. De cette façon, le rayon de l’orbite est égale au demi-grand axe. Cette hypothèse va simplifier la détermination du demi-grand axe des satellites. En pratique, l’excentricité de ces satellites est inférieure à $0,01$, donc leurs orbites sont presque des cercles.
  • Supposons la masse des satellites négligeable devant la masse de Jupiter : $m \ll M$. Cela nous permet de simplifier le numérateur du terme de droite dans l'équation ci-dessus. En pratique, Jupiter est 13 000 fois plus massive que la plus massive de ses lunes.

Nous pouvons alors écrire

$$ M = \frac{4\pi^2a^3}{T^2} $$

et il suffit de déterminer le rayon et la période de l’orbite d’une de ses lunes pour en déduire la masse de Jupiter.

Jupiter et ses satellites

Jupiter est la cinquième planète du système solaire en partant du Soleil. Un cortège de plus de soixante satellites est en orbite autour. Quatre d’entre eux – Io, Europe, Ganymède et Callisto – ont été découverts par Galilée au 17e siècle et sont appelés les satellites galiléens. Ces satellites sont particulièrement intéressants car ils sont faciles à observer, même avec un petit instrument. En outre, la période orbitale de Io est de 1,8 jours, ce qui permet de facilement observer plusieurs orbites. Or plus nous pourrons observer d’orbites d’un satellite, plus les valeurs obtenues par cette expérience seront précises.

Déroulement général de l’expérience

Si l'énoncé de la troisième loi de Kepler peut sembler trivial, déterminer la période et le demi-grand axe de ses satellites demande plusieurs nuits d’observation. Selon le matériel et le temps à disposition, ainsi que la période de l’année et la météo, certaines parties de cette manipulation peuvent être remplacées par l’utilisation du logiciel Stellarium.

La situation idéale consiste à avoir des groupes de 3 personnes, où chaque groupe mène ses propres observations. Mais il est possible d’avoir des groupes plus grands où les stagiaires observent chacun leur tour.

Matériel nécessaire pour un groupe :

  • Un télescope.
  • Un chronomètre. Alternativement, on peut choisir d’utiliser un appareil photo plutôt qu’un chronomètre.
  • Papier, crayons…
  • Des supports rigides sur lesquels écrire.
  • Des lampes rouges.
  • Le logiciel Stellarium.

Plus le nombre de nuits consécutives d’observation sera grand, meilleure sera la précision du résultat. Il faut observer pendant au moins quatre nuits pour voir deux orbites complètes de Io, ce qui constitue le minimum afin de pouvoir caractériser cette orbite.

Le mouvement des satellites

Observation du système jovien

Parmi les satellites que l’on voit dans un télescope, a priori, on ne sait pas lequel est Io, Europe, Ganymède ou Callisto. Afin de pouvoir les désigner quand même, on peut leur donner des noms arbitraires (par exemple « satellite A » ou « pomme »). On commencera toute observation par la réalisation d’un schéma indiquant la position relative de Jupiter et de ses satellites. Au fil des observations, on constatera que certains satellites s'éloignent plus de Jupiter que d’autres.

En outre, bien que Io soit le satellite le plus proche de Jupiter, la distance angulaire entre Jupiter et Io peut être plus grande que celle entre Jupiter et un autre satellite galiléen. Il est donc important de suivre le parcours des quatre satellites galiléens au fil du temps afin de ne pas les confondre.

On peut également s’aider d’un éphéméride ou de Stellarium afin de connaître la configuration du système jovien. On réduit ainsi le risque de confondre deux satellites.

Jupiter avec les quatre satellites galiléens autour

Attention cependant, ce que l’on voit dans le télescope est à l’envers par rapport à ce que l’on voit dans le logiciel Stellarium ! En effet, un télescope « retourne » les images, comme lorsque l’on regarde son reflet dans une cuillère.

À cause du mouvement de la Terre et de Jupiter autour du Soleil, il n’est pas toujours possible de mener cette expérience. En effet, il faut que Jupiter soit suffisamment haute sur l’horizon pendant la nuit. Vous pouvez déterminer la visibilité de Jupiter avec Stellarium, grace à l’outil des calculs astronomiques (touche F10). Par exemple, on voit dans la capture d'écran suivante qu’en 2022, si on veut observer Jupiter à minuit, on ne pourra le faire qu'à partir de mi-juillet.

Ainsi, la période d’août à novembre 2022 est propice pour mener cette expérience.

Distances angulaires

La distance angulaire est l’angle sur la voûte céleste qui sépare deux objets. Pour mesurer la distance angulaire qui sépare Jupiter de ses satellites, nous allons utiliser le mouvement de rotation de la Terre sur elle-même.

Lorsque l’on regarde dans un télescope non-motorisé, on voit les objets se déplacer petit à petit, du fait du mouvement de rotation de la Terre sur elle-même. Au fil du temps, les objets célestes qui étaient visibles dans l’occulaire sortent du champ de vision.

La Terre fait un tour sur elle-même en 23 heures, 56 minutes et 4 secondes, soit 86164 secondes. Avec une règle de trois, on trouve que la Terre tourne sur elle-même au rythme de $\frac{360}{86164} = 15$° par heure, soit 15 secondes d’arc par seconde.

Afin de déterminer la distance angulaire qui sépare Jupiter de ses satellitess, on peut alors suivre la procédure suivante :

  1. Centrez Jupiter dans l’occulaire. Dans le cas d’une monture motorisée, assurez-vous que le suivi n’est pas enclenché.
  2. Choisissez un des satellites de Jupiter et regardez la direction dans laquelle Jupiter semble se déplacer dans l’occulaire. Notez qu’il s’agit ici d’un mouvement apparent dû à la rotation de la Terre sur elle-même.
  3. Si Jupiter suit le satellite :
    1. Dès que le satellite atteint le bord du champ de vision de l’occulaire, enclenchez le chrono et notez l’heure.
    2. Continuez de regarder dans l’occulaire jusqu'à ce que Jupiter arrive au bord du champ de vision de l’occulaire.
    3. Arrêtez le chrono lorsque Jupiter atteint le bord du champ de vision de l’occulaire.
    4. Notez le temps écoulé en positif.
  4. Si au contraire Jupiter sort de l’occulaire avant le satellite :
    1. Enclenchez le chrono et notez l’heure lorsque Jupiter atteint le bord du champ de vision de l’occulaire.
    2. Arrêtez le chrono lorsque le satellite atteint le bord du champ de vision de l’occulaire.
    3. Notez le temps écoulé en négatif.
  5. Utilisez la règle de conversion énoncée ci-dessus pour déterminer la distance angulaire entre Jupiter et son satellite en fonction du temps mesuré au chrono.

Il est possible de répéter cette observation avec chacune des lunes galiléennes, si on veut pouvoir comparer la masse déduite dans chaque cas. Faites des mesures plusieurs fois au cours de la nuit, par exemple une fois par heure. Faites de même plusieurs nuits d’affilée afin de voir quelques orbites de Io.

Exploitation des données

Après avoir collecté des données pendant plusieurs nuits d’observation, on peut tracer un graphique représentant la distance entre Jupiter et chacune de ses lunes en fonction du temps. On peut également chercher à trouver la sinusoïde d'équation $t \mapsto A\sin (\omega t + \phi)$ qui colle le mieux aux données. En effet, la distance angulaire entre Io et Jupiter suit – en première approximation – une sinusoïde.

Le graphique résultant pourra avoir l’allure suivante :

Les croix bleues représentent les mesures qui ont été faites. Les plages horaires sans données correspondent aux moments où Jupiter était sous l’horizon et aux moments où il faisait jour.

On trouve ici que la distance angulaire maximale entre Io et Jupiter est d’environ 135 arcsecondes, et la période orbitale de Io est d’environ 42 heures.

On peut directement utiliser la période, mais l’expression de la loi de Kepler utilise le rayon de l’orbite et non pas le diamètre angulaire. Il faut donc convertir cette distance angulaire maximale en distance. Pour cela, on utilise l’approximation des petits angles dans le triangle formé par la Terre, Jupiter et Io.

Avec les notations du schéma, on a alors

$$ \theta \sim \sin \theta = \frac{a}{d} $$

Pour déterminer la distance de Jupiter, nous utilisons ici Stellarium.

  • Vérifiez que la date dans le logiciel est bien celle du jour. Pour régler l’heure, utilisez le bouton sur le côté gauche de l'écran ou bien appuyez sur la touche F5.
  • Ouvrez la fenêtre de recherche d’objet avec le bouton sur le côté gauche de l'écran ou bien la touche F3. Tapez Jupiter et appuyez sur la touche Entrée.
  • Des informations au sujet de Jupiter s’affichent en haut à gauche, de l'écran. Parmi ces informations, il y a la distance entre l’observateur et Jupiter. Utilisez cette valeur pour $d$.

Variations possibles

Avec un appareil photo

Afin d’estimer les distances angulaires, il est aussi possible d’utiliser un appareil photo au niveau de l’occulaire. En connaissant le champ de vue du télescope, on peut convertir un nombre de pixels dans l’image en un angle apparent.

Avec Stellarium

Dans le logiciel Stellarium, activez la fonction « Mesure d’angle ». Pour cela, allez dans le menu de configuration générale (touche F2).

  1. Allez dans l’onglet « Plugins ».
  2. Sélectionnez « Mesure d’angle ».
  3. Cochez la case « Charger au démarrage » et redémarrez Stellarium.
  4. Dans la barre d’outils en bas de l'écran, un bouton permet maintenant de passer en mode « Mesure d’angle ».

Cliquez sur le bouton « Mesure d’angle ». Maintenant, quand vous faites un cliquer-déplacer sur l'écran de Stellarium, une règlette apparaît avec la valeur de l’angle entre les deux extrémités du trait.

Cherchez la planète Jupiter (touche F3, tapez Jupiter et appuyez sur Entrée). Zoomez avec la molette de la souris et estimez la distance angulaire entre Jupiter et Io. Avancez dans le temps (accédez à la fenêtre de gestion de l’heure avec la touche F5) et répétez l’opération jusqu'à avoir suffisamment de données.

Déterminer la distance de Jupiter par l’observation

Dans l’expérience proposée ici, la distance entre la Terre est Jupiter est supposée connue. Il est cependant possible de déterminer cette distance par l’observation avec un spectrographe et une caméra. Nous donnons ici un apperçu de l’expérience, mais celle-ci pourrait faire l’objet d’un autre article à part entière.

  • Mesurez la période de rotation de Jupiter :
    • Repérez les détails à la surface de Jupiter.
    • Observez Jupiter plusieurs fois au cours d’une nuit et notez comment ces détails se déplacent.
    • Mesurez le temps qu’il faut pour qu’un nuage à la surface de Jupiter traverse le disque.
  • Mesurez la vitesse à l'équateur :
    • Mesurez le spectre de Jupiter proche de l'équateur sur le bord est et sur le bord ouest.
    • Comparez la position des raies entre les deux mesures.
    • Appliquez le principe de l’effet Doppler pour obtenir la vitesse à l'équateur.
  • Obtenez la distance de Jupiter
    • Le rayon de Jupiter est alors égal au rapport entre la vitesse et la vitesse angulaire.
    • Comparez le diamètre angulaire de Jupiter à son diamètre.

Vous pouvez ensuite utiliser la valeur obtenue pour en déduire le rayon de l’orbite de Io.

Conclusion

J’espère vous avoir donné un aperçu d’une expérience simple à mener avec un télescope et du matériel facile d’accès. Si cet article vous a donné envie de mener cette expérience, dites-le moi sur les réseaux sociaux Twitter et Mastodon.


Merci beaucoup à celles et ceux qui ont relu l’article pour me faire des retours.

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Docteur, astrophysicienne. Je joue de l'euphonium, du clavier et du télescope quand je peux.